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Les jauges de courses françaises

La formule internationale

Cet article est adapté du travail de G. Clerc-Rampal et Fernand Forest, Le Yachting, 1912.

Nous rappelons que l’origine et l'historique de notre Société d'encouragement pour la navigation de plaisance remontent au 15 juin 1867, rajoutant à son nom le titre de Yacht Club de France, Y.C.F., le 11 novembre de la même année. S'associant peu après au Cercle de Hanovre qui abandonnait son nom, le Y.C.F allait donc couvrir deux éléments disparates - les yachtsmen pratiquants et les membres du Cercle, et l'union n'allait pas pouvoir durer longtemps. La rupture finale est survenue le 30 janvier 1891 et la Union des Yachts Français a vu le jour le 22 juin. Celle-ci convoquait le Congrès des Sociétés Nautiques. Finalement ces deux Sociétés se réunissent le 23 avril 1898. Le Cercle a retenu le nom du Y.C.F., et s'est associé avec l'Automobile Club en 1901, et le 10 janvier 1902 l'Union des Yachts a repris le nom du Yacht Club de France qui fut reconnu comme autorité nationale en 1907 par la International Yacht Racing Union.

La jauge que nous possédions en 1912 fut internationale, votée dans le Congrès de Londres de 1906, et malheureusement les opinions françaises ne purent prévaloir; aussi ce fut avec juste raison que dans le rapport établi à la fin de ce Congrès l’on reconnut que la France avait fait plus de sacrifices qu’aucune autre nation au principe de l’uniformité de la jauge en Europe.

Titave
Un yacht célèbre - le Titave, 5tx jauge 1899, de M. Damoy-Picon

Nous venions en effet d’abdiquer le principe directeur qui nous avait guidé jusque là dans l’étude de nos jauges, études qui furent poussées chez nous avec un esprit de suite remarquable. Ce principe était de réunir dans les mêmes séries de course les bateaux de même vitesse probable tout en laissant un champ aussi libre que possible aux diverses conceptions. Aujourd’hui la jauge internationale réunit au contraire des yachts de dimensions très voisines, d’un type très sensiblement uniforme, laissant aux constructeurs le soin d’en tirer la vitesse maximum,

Ces deux principes ont tous deux leur valeur propre et il serait puéril de vouloir en classer un comme supérieur à l’autre. Peut-être l’ancien principe français était-il mieux adapté à notre caractère, mais on doit reconnaître que la jauge internationale actuellement en vigueur offre un excellent sport et des luttes très disputées. Il serait néanmoins injuste, dans un ouvrage de yachting, d’omettre l’exposé de nos travaux antérieurs, et à présent qu'il nous est interdit d’espérer que la formule internationale soit un jour d’origine française, on ne trouvera pas mauvais que nous donnions ici le résumé des études faites en France, de 1886 à 1906, sur la jauge des yachts de course[1].

Divers modes de mesurage

Dans la période qui s’étend de 1870 à 1886, date du premier Congrès des Sociétés Nautiques françaises, divers modes de mesurage furent employés concurremment et l’« unité de jauge » n’existait pas. Tout d’abord on se contenta de classer les yachts d’après leur longueur, mais même avec ce procédé primitif, les divergences étaient nombreuses. Certaines sociétés avaient adopté la longueur de quille, d’autres la longueur de flottaison, et d’autres la longueur totale prise sur le pont. Ces modes de classement étaient tous incomplets car ils négligeaient la largeur et la voilure et ne donnaient pas ainsi une appréciation suffisante des qualités de vitesse de l’ensemble. En outre, cette double omission poussa à des exagérations; les voilures atteignirent des proportions telles que souvent la coque seule n’entrait que pour moins de la moitié dans la longueur hors tout, prise de l’extrémité de la bôme à celle du bout dehors. On cite des yachts de cette époque, de 11 mètres de longueur de coque, nécessitant 25 mètres de quai à cause de leurs espars débordants.

Pour supporter cette voilure exagérée l’on augmenta la largeur, non taxée elle aussi, jusqu’a produire des bateaux ayant un bau égal à la moitié de leur longueur. Comme il était admis que l’on pouvait se servir de lest mobile, l’emploi de tous les moyens les plus extraordinaires était courant : sacs de sable ou de grenaille changés de bord à chaque virage, planches débordant au vent pour supporter ce lest, etc., et l’on pouvait même, aux termes du règlement de course publié par le Yacht Club en 1881, jeter ces poids à la mer dés qu’ils étaient inutiles. Aussi lorsque le dernier côté du triangle se faisait vent arrière, l’on voyait à bord de chaque concurrent vider avec entrain les sacs qui jusqu’alors avaient assuré la stabilité du bateau. Du côté de la voilure la liberté conduisait à d'autres pratiques inadmissibles : ce n’était que voiles supplémentaires, fortunes carrées, bonnettes de gui et de sous-gui, flèches volants, etc.

Dans ces conditions, avec un déplacement variable et une surface de voilure illimitée, le yachting de course ne pouvait conduire à rien; aucun progrès n’était possible avec de pareils errements. Les Sociétés Nautiques s’en rendirent compte et l'on se mit un peu partout à établir d’autres modes de mesurage. En 1876 le Cercle de la Voile de Paris adopta le règlement suivant, les yachts étant mesurés selon la formule :

T = L x B x √ (L x B)
20

L étant la longueur de flottaison et B le bau, ou largeur, extrême. Il y avait trois séries : au-dessous de à tonneaux, de 4 à 6 tonneaux, au-dessus de 6 tonneaux; ce terme « tonneau » s’entendant des valeurs de T dans la formule ci-dessus. Il existait une allégeance de une seconde par dixième de tonneau et par kilomètre pour les deux premières séries et de une seconde par deux kilomètres dans la troisième. En 1881, la même société fit l’essai d’une autre formule :

T = L x P(2L+ P)
300

dans laquelle L était la longueur de l’avant de l’étrave à l’extrême arriéré sur le pont, moins la longueur de la voûte; P, le périmètre au milieu de la longueur pris avec une chaîne passant sous le bateau, de plat-bord à plat-bord, augmenté du bau extrême. Le résultat n’ayant pas été satisfaisant, en 1882 cette formule fit place à la suivante

T = (L - B/2) x B x P
5.8

L était alors la moyenne entre la longueur de flottaison et la longueur totale, moins un septième de celle-ci, sans que le résultat de la soustraction puisse étre moindre que la longueur de flottaison. B était le bau et P le périmètre 1à où la chaîne était la plus longue.

En dehors de Paris des essais intéressants avaient lieu également. Dés 1878, la Société Nautique du Havre adopta la formule :

T = L x B x C
4

dans laquelle L était la longueur sur le pont, B le bau extrême et C la moyenne entre la largeur extrême et le plus grand creux de cale, pris verticalement au quart de la largeur à compter du plan longitudinal. Cette formule donnait ainsi une approximation du volume de la coque.

D’autres sociétés employaient simplement la jauge anglaise du Royal Thames Yacht Club :

T = (L - B) B x B/2
94

dans laquelle L et B étaient la longueur et le bau. Le dénominateur 94 faisait place au dénominateur 2,7 lorsque les mesures étaient prises en mètres.

Pendant ce temps le Yacht Club, lui aussi, avait élaboré une formule. Conservant la mesure à la longueur pour les petites séries, divisées en quatre classes : 5, 6, 8 et 11 mètres, mesurés de l’avant de l’étrave à l’arrière de l’étambot, il avait choisi pour la grande série la formule :

T = L x B x C
5

assez semblable à la formule havraise de 1878, ou L était la longueur sur le pont, B la largeur extrême, et C le creux. Cette grande série était divisée en trois classes: 1° classe pour les bateaux de 20 tonneaux et au-dessous, mais de plus de 11 mètres entre perpendiculaires, avec allégeance de trente secondes par tonneau pour 20 milles de parcours; 2° classe, 20 à 40 tonneaux, allégeance vingt secondes; 3° classe au-dessus de 40 tonneaux, allégeance quinze secondes. Cette formule fut peu appliquée, le Yacht Club n’était alors qu’une Société d’Encouragement sans grande action ni autorité sur les sociétés nautiques et ses travaux passaient inaperçus. Après des essais, et notamment une fâcheuse admission momentanée de la jauge anglaise concurremment avec la sienne, le Yacht Club adhéra en 1881 à la jauge du Havre et rédigea son premier règlement de course.

Au milieu de toutes ces jauges, le yachting français se débattait dans un malaise général; les constructions nationales se ralentissaient et pour peu que cette situation se fût prolongée, il n’y aurait plus eu chez nous que des bateaux d’importation anglaise. En 1882, le Yacht Club essaya de réagir et il créa une coupe de 2.000 francs pour yachts de plus de 20 tonneaux.

Ce trophée fut couru à Lorient le 14 août et il revint à la goélette Harlequin, appartenant à M. Demay, battant son unique concurrent Dream. L’année suivante, les conditions de la Coupe furent modifiées. Elle devait désormais être courue en trois épreuves, chacune ayant lieu dans une localité différente, et resterait acquise au bateau gagnant trois épreuves consécutives soit la même année, soit en deux saisons. La première course eut lieu le 8 juillet 1883 à Saint-Nazaire; elle réunit trois partants : l’Henriette, de 85 tonneaux à M. Pilon, la Stella de 20 tonneaux à M. Jousset, l’Eva de 40 tonneaux à M. Fonade. Ce fut cette dernière qui gagna.

Titave
La Perrette

La seconde épreuve se passa le 17 août à Royan, entre Arlequin, Paquerette, Fingal et Eva qui gagna de nouveau. Enfin le 21 août, à la Rochelle, Eva se trouva seule et on dût lui remettre le prix. En 1884, le Yacht Club exigea deux partants au moins pour que la course ait lieu, et cette année-là, le 29 juin, à Cherbourg, sept concurrents se mirent en ligne. Le Priny, un 40 tonneaux de construction française réussit à battre tout le lot, parmi lequel on remarquait l’Henriette de 20 tonneaux, un cotre neuf que M. Pilon avait fait construire en Angleterre. La deuxième manche, au Havre, le 11 juillet, revint encore à Priny, battant Henriette et deux autres bateaux, mais la troisième, à Boulogne, le 12 août, fut gagnée par Henriette. La coupe ne put donc être attribuée cette année-là. Henriette devait la conquérir en 1885 après sa victoire à Brest sur Eva et à Saint-Nazaire sur Harlequin.

Uniformité de la jauge

En somme, le but poursuivi par le Yacht Club n’était pas entièrement atteint, les bateaux de construction française n’avaient gagné que deux épreuves sur dix. Il fallait cependant arriver à tirer notre yachting national de l’ornière où il s’enlisait tout doucement et pour cela il était d’abord nécessaire d’obtenir l’uniformité de la jauge et des règlements de course. D’autres questions accessoires viendraient ensuite, telles que l’échelonnement des régates, avec des dates choisies de telle façon qu’elles pussent, au lieu de se nuire mutuellement, être suivies par le plus grand nombre de yachts possible. Enfin, il était de toute nécessité qu’un organisme central permanent fit créé, afin de veiller à l’observation des règlements et d’assurer la coordination des efforts. Toutes ces idées étaient dans l’air depuis 1880 et la réunion d’un Congrès général des Sociétés Nautiques françaises s’avérait partout comme indispensable. Malheureusement le Yacht Club hésitait et ce fut en Méditerranée que les sociétés, lasses d’attendre, résolurent d’agir pour leur compte. En octobre 1885, elles décidèrent de se fédérer et de tenir un Congres régional.

La première séance eut lieu à Nice le 16 novembre. Les Sociétés de Nice, Cannes, Menton, Toulon étaient représentées ainsi que le Regio Yacht Club Italiano. Des questions telles que la constitution d’une Union Méditerranéenne, la fixation de dates de régates échelonnées, la création d’une Coupe à courir chaque année dans une localité différente, furent vites résolues. Pour la formule de jauge, la commission nommée à cet effet se trouva en présence de trois propositions différentes : la formule devait-elle être basée sur la surface de voilure, sur le déplacement réel ou sur le volume total? Comme on le voit le principe de la combinaison des éléments action avec ceux résistance, en vue de comparer les rendements, n’avait pas encore pénétré dans les milieux sportifs, mais la voie où l’on s’engageait allait immanquablement y conduire.

La jauge à la voilure fut rejetée à l’unanimité sans débats; on trouva le déplacement, ou poids, trop difficile à calculer, et finalement l’on se mit d’accord sur le volume total que l'on estima suffisamment mesuré par la formule suivante, due à M. Maurel, de Nice :

T = L x B x C
4

où L est la longueur de l’étrave à l’étambot, B la plus grande largeur et C le creux au maître-couple, du dessous du pont au-dessus du bordé, au quart de la largeur du yacht; c’était la formule havraise de 1878.

Le Congrès des Sociétés méridionales avait eu comme premier résultat d’éveiller l’attention du Yacht Club. Jusque-la, cette société d’encouragement s’était bornée à distribuer des subventions et à développer le sport nautique par une propagande au demeurant assez discrète, mais à partir de cette époque, elle prit une conscience plus nette de ses devoirs et, le 2 septembre 1885, elle adressa une circulaire à toutes les sociétés nautiques dans laquelle elle demandait si une réunion de délégués leur paraissait nécessaire. Dans l’affirmative, il était indiqué que l'on procéderait à l’examen des formules de jauge en vigueur et qu'il y avait lieu d’envoyer auparavant des mémoires et des rapports sur cette question.

L’examen de ces travaux donne bien une impression des idées ayant cours à cette époque dans les milieux maritimes. Tout d’abord, l’on se déclare opposé au type anglais et l’on exprime le désir de défavoriser, voire même de proscrire, ce genre de bateau étroit et profond qui ne répond aucunement aux desiderata de nos yachtsmen. Pour la formule de jauge, on ne cherche qu’a calculer par des moyens simples le volume du bateau, ne faisant ainsi entrer dans la formule que des mesures de coque à l’exclusion de toutes autres. On n’avait pas encore saisi la nécessité d’introduire la voilure, le moteur, dans le mode de classification des bateaux. Un seul auteur, un amateur resté malheureusement anonyme, présentait un projet de formule sur le principe suivant: « Une seule jauge est rationnelle, celle basée sur un rapport entre la surface de voilure et le déplacement réel, les coureurs étant classés suivant ce rapport et chaque classe en série suivant le déplacement. » C’était, avec une concision remarquable, l’exposé du principe fondamental dont nous avons parlé au chapitre précédent. Comme tous les précurseurs, cet auteur inconnu vit son projet écarté, On ne peut que le regretter en songeant que son adoption nous aurait conduit, avec une avance énorme, au point que nous allions enfin atteindre quand la jauge internationale est venue nous ramener dans une voie toute différente. Nous ferons remarquer en passant qu’un fil, bien ténu, nous relie cependant encore à nos anciennes traditions. La série nationale de 6,50 doit, en effet, comme nous l’avons vu, satisfaire à la formule

L x √S   ≤ 2.8
D

Il y a la, en quelque sorte, la continuité du principe français appelé à subsister encore sous cette forme.

Parmi les mémoires adressés en 1885 au Yacht Club, le plus important fut certainement celui du Cercle de la Voile de Paris. Ce rapport posait comme premier principe le suivant: « Une jauge est une méthode de mesurage qui réunit, dans une même série, des bateaux de formes différentes pour les faire courir à égalité. » C’est la notre vieux principe national qu’on trouve ainsi énoncé dés la première consultation des sociétés nautiques. Ensuite, le même rapport indiquait que les mesures nécessaires à la jauge devaient pouvoir être prises facilement, que la jauge devait pousser le constructeur à faire des bateaux marins et confortables, et enfin que la formule représentant une « cote » attribuée à un bateau n’est pas obligée de représenter forcément un cube. Venait, après cet exposé, la revue des différentes formules en usage. Celles basées sur le déplacement étaient jugées comme conduisant à des méthodes de mesurage trop compliquées; celles au volume offraient les mêmes difficultés ou donnaient lieu à des formules approchées inexactes, présentant des lacunes.

La jauge anglaise était rejetée comme favorisant le yacht étroit, impopulaire en France, et en conséquence les formules du Havre et du Congrès méditerranéen, trop semblables à la méthode anglaise, étaient également proscrites. La conclusion de cet examen était que le Cercle de la Voile de Paris, se ralliant aux idées américaines, admettait que dans la combinaison des trois facteurs, longueur, largeur et creux, il y avait lieu de remplacer les deux derniers, qui représentent la stabilité et la puissance du yacht, parla surface de la voilure, laquelle dépend précisément de cette puissance. On obtenait ainsi la formule

J = 2L + √S
3

qui était celle du New-York Yacht Club, et que le Cercle de la Voile proposait, avec la Société de Trouville et celle de Dives, d’adopter.

Le Congrès tint sa première séance à Paris, le 19 janvier 1886, sous la présidence de l’amiral Amet, président du Yacht Club. Soixante sociétés avaient envoyé leur adhésion et vingt-cinq se firent représenter par trente-cinq délégués. La principale discussion roula naturellement sur les formules de jauge; celles à la longueur et au déplacement furent rejetées et l’on se trouva en présence des deux autres principes: la voilure et le volume. La jauge à la voilure fut vivement défendue par MM. Demay, Brault, Michelet et Caillebotte; celle au volume eut pour principaux partisans MM. Sahuqué et Chenantais. Par 14 voix contre 8, ce fut le volume qui triompha; puis, à la presque unanimité (21 voix contre 1), on décida de prendre le périmètre comme troisième dimension, à la place du creux. Les bases de la formule ainsi posées, l’assemblée nomma une commission, composée de MM. Demay, Sahuqué, Brault, Marcel, Le Marchand, Michelet, Romieux et Caillebotte, afin d’élaborer une formule; puis on interrompit les séances plénières jusqu’au 22 janvier. Ce jour-la, la commission rendit compte de ses travaux; elle n’avait pu se mettre d’accord et présentait deux formules, l’une due à M. Caillebotte :

J = (L - B) x (P/4)2
constante

l’autre de M. Sahuqué:

J = L x (P/4)2
constante

Comme valeurs de la constante, la commission proposait 5 pour la première formule et 6 pour la deuxième; pour les séries, elle indiquait 3, 5, 10, 20, 40 tonneaux, laissant au-dessous de 3 tonneaux les séries au choix des sociétés.

Le Congrès hésite; il craint que le terme L-B ne favorise par trop les bateaux larges, la valeur (L-B), et par suite la jauge de course, d’un yacht étant d’autant plus faible que B croit et se rapproche de L. D’autre part, L tout seul parait avantager le bateau étroit, dont on ne veut à aucun prix. M. Demay propose alors le terme moyen L-(B/2) qui réunit tous les suffrages, et après une nouvelle étude sur la valeur à donner à la constante, la formule adoptée se trouve être:

T = (L - B/2) x (P/4)2
5.5

L’assemblée décida que toutes les courses de yachts données par les sociétés adhérentes devraient se faire avec la jauge et le règlement votés par le Congrès, qui prirent le nom de « Jauge et Règlement de l'Union des Sociétés de navigation de plaisance ».

Ce premier Congrès, dit Congrès de 1886, marque le début de l'organisation moderne du yachting de course en France. Il est intéressant de voir en détail les idées qui y furent soutenues et celle qui finit par prévaloir, et c’est pour cela que nous nous sommes arrêtés un peu longuement sur cette première réunion de nos Sociétés. Nous allons voir maintenant se développer les mêmes principes dans les deux Congrès suivants.

Le 19 février 1892, l'Union des Yachts français adressa une circulaire aux sociétés nautiques pour leur annoncer la réunion d’un Congrès et demander leurs avis sur la jauge. Deux courants principaux existaient alors dans le yachting français: les uns voulant remplacer la formule de 1886 par une jauge à la voilure, les autres qui estimaient la nécessité d'un changement nullement démontré. Quelques yachtsmen cherchaient un compromis par l’introduction dans la formule existante de la surface de voilures; enfin, des précurseurs se ralliaient à une formule de vitesse permettant la comparaison de bateaux différents, et l’un d’eux, M. Soinet, préconisait même la réunion des éléments d’action et de résistance en ces termes: « Une jauge ne peut permettre des yachts véritablement marins que si, après avoir pris comme éléments additifs ou multiplicateurs du tonnage les caractéristiques de la vitesse du bateau, elle prend comme éléments négatifs ou diviseurs les caractéristiques de ses qualités nautiques, nuisibles à la marche. » Les formules issues de cette manière de voir se trouvaient ainsi de la forme J = LS/D, (L longueur, S voilure, D déplacement), et c’est précisément celle à laquelle nous allions vraisemblablement nous rallier lorsque le Congrès international est venu interrompre nos travaux.

La formule de Monsieur Godinet, 29 octobre 1892

Le 26 octobre 1892, la première séance du Congrès eut lieu sous la présidence de l’amiral Lagé; trente et une Sociétés se trouvaient représentées par trente-huit délégués. Il n’y eut pas moins de huit formules de jauge proposées par MM. Louis Mors et Giudicelli, Boyn, Guilloux, de Saint-Pere, de Laubriére, Godinet, Cauda, Chevreux. Après des discussions assez longues, la « formule Godinet »

T = (L - P/4) x P x √S
constante

dans laquelle L est la longueur, P le périmètre et S la surface de voilure, fut votée par 21 voix contre 9. Une commission d’étude, réunie aussitôt, compléta le règlement par les mesures suivantes: les élancements avant et arrière ne devaient pas dépasser au total la demi-longueur de la flottaison; les séries étaient fixées à 1, 2, 3, 5, 10, 20, 40 tonneaux et au-dessus; la constante de la formule était 130; le gréement de yawl aurait une détaxe de un vingtième, celui de goélette de trois dixièmes de la jauge.

Le 29 octobre 1892, le Congrès se séparait après avoir, adopté les propositions de la commission et fixé la durée minimum de la jauge à sept ans. Comme on peut le voir, la formule issue de ses travaux n’était en somme qu'une modification de celle de 1886, à laquelle on avait ajouté le facteur surface de voilure. C’était le Congrès suivant qui devait enfin introduire au dénominateur une mesure plus directe de la résistance.

Ce fut le 1° mai 1899 que ce Congrès, qui devait étre notre dernière réunion nationale pour l’élaboration d’une jauge, se réunit dans les salons de l'Union des Yachts (aujourd’hui Yacht Club de France), 82 boulevard Haussmann, sous la présidence de M. le vice-amiral Charles Duperré. Le ministre de la Marine s’était fait représenter par M. le capitaine de frégate Fargues et l’ingénieur des constructions navales Louis, qui suivirent avec intérét les travaux. Les pouvoirs de 52 délégués représentant 47 sociétés furent validés; en outre, quatre sociétés avaient envoyé leur adhésion.

Il y eut même 7 sociétés étrangères qui se trouvèrent avoir des délégués : la Société de Genéve (MM. Godinet et le comte de Pourtalés); le Club nautique de la Vela de Cornigliano (Italie) (M. Colteletti); le Club Nautico Genovése de Sturla (Italie) (M. le comte de Biscaretti); le Club Nautico Elbano (Italie) (M. le cav. Tornietti); le Club Nautico de Voltri (Italie) (le commandeur d’Albertis); le Club de la Vela Cornigliano Ligure (Italie) (le marquis Carlo Ginori) et le Reggio Regate Club de Como (Italie) (le cav. A. Rubini).

On ne savait tout d’abord quelles voix attribuer à ces délégués étrangers; après discussion hors séance, il fut décidé qu'ils auraient voix délibérative et seraient traités sur le pied des délégués français s’'ils engageaient leurs sociétés à adopter la jauge qui serait votée. Ils répondirent par la voix du marquis de Rochechouart, ami personnel de plusieurs d’entre eux, qu'ils étaient très touchés de l’honneur qu’on voulait bien leur faire, mais que n’ayant pas reçu de leurs commettants les pouvoirs nécessaires pour souscrire d’avance aux résolutions du Congrès, ils préféraient ne participer aux discussions qu’avec voix consultative. Il en fut ainsi décidé.

Après la nomination de M. Lagane et du commandant Fargues, comme vice-présidents, de MM. Guidicelli, de Curzay, Charlot et Dyèvre comme secrétaires, l’on entama la discussion d'une formule de jauge.

Les propositions étaient nombreuses; 27 formules se trouvaient en présence. émanant de MM. Le Marchand, Billard, H. Laverne, Guidicelli, Séchez, Michelet, Colineau, Gaultier. de Kermoal, Réverend, Godinet, Méran, Chevreux, Michel, Sahuqué, Labat, Soymié et Toulot. La Commission technique qui procéda à leur examen préalable les classa ainsi : 1° Formules dérivées de celle de 1892 (MM. Michelet, Lemarchand, Laverne); 2° Formules ne comprenant pas la surface de voilure (MM. Réverend, Gaultier de Kermoal, Soymié, Sahuqué et Toulot, ce dernier admettant cependant une limitation du rapport de la voilure à la surface de maîtresse section); 3° Formules représentant des vitesses (MM. Chevreux, Séchez, Labat); 4° Formules donnant des longueurs corrigées (MM. Réverend, Billard, Guidicelli) et enfin 5° Formules diverses, ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus, celles de MM. Colineau, Méran, Michel et Godinet.

La formule de Monsieur Méran, 5 mai 1899

Après que chaque auteur eut défendu au tableau sa proposition, la formule de M. Méran, ou plus exactement son principe, fut adoptée. Voici en quels termes M. Méran avait exposé son projet :

« Les éléments qui représentent la vitesse d’un bateau sont sa longueur à la flottaison et sa surface de voilure. Le déplacement et la surface de frottement sont les résistances qu'il a à vaincre.

On pourrait donc avoir une méthode de comparaison permettant de jauger les bateaux construits suivant des règles quelconques en leur appliquant une formule telle que L√S / (constante √M) dans laquelle M serait la surface de la maîtresse section immergée. Mais si il est admis en architecture navale que deux bateaux ont même vitesse, ou doivent l’avoir, lorsque leur longueur, leur déplacement et leur surface de voilure sont égales, ceci n’est vrai que pour une utilisation identique de cette dernière, c’est-a-dire pour un même angle d’inclinaison. Or, plus un bateau aura un grand périmètre, plus il restera droit, donc il faut faire entrer ce facteur périmètre dans la formule. On voit qu’en somme nous serons conduits tout simplement à multiplier la jauge de 1892 par le rapport √S / √M de la surface de voilure à celui de la maîtresse section. »

Ce fut sur ce principe qui introduisait enfin dans la jauge française le rapport des éléments d’action à ceux de résistance que la formule issue du Congrès de 1899 fut basée. Après des travaux conduits avec une méthode rationnelle, la « formule Méran » devint :

T = (L - P/4)PS
1000 √M

T représentait la jauge.
P la longueur du périmètre en mètres et fractions.
L la longueur de flottaison.
S la surface de voilure.
M la surface de la maîtresse section.

Les yachts étaient classés en 7 séries : de 0 à 1 tonneau; au-dessus de 1 et n’excédant pas 2 tx., 5, au-dessus de 2 tx., 5 et n’excédant pas 5 tonneaux; au-dessus de 5 et n’excédant pas 10 tonneaux; de 10 à 20 tonneaux; de 20 à 40 tonneaux; au-dessus de 40 tonneaux.

Les yachts recevaient une allégeance par tonneau au-dessus de 5 tonneaux; dans les séries inférieures, ils comptaient pour le tonnage maximum de la série.

Le 5 mai 1899 le Congrès se sépara.

Telle fut la dernière jauge française et l’on voit qu'elle était le résultat d’idées déjà anciennes qui s’étaient fait jour peu à peu. Le grand principe de la réunion des bateaux de même vitesse à dominé constamment nos travaux et l’on peut se rendre compte du changement que représente pour nous la jauge internationale basée, elle, sur la réunion des bateaux de mêmes dimensions.

Pouvons-nous espérer voir notre méthode admise un jour par le concert des nations? Non certainement, et pour cette raison bien simple que notre principe national n’est pas, intrinsèquement parlant, supérieur à l'autre, il n’est que différent. C’est donc à nous d’essayer de nous faire à cette autre mode du sport nautique et, à franchement parler, je ne vois pas de raisons pour ne pas y parvenir. La jauge internationale donne lieu à des rencontres intéressantes, à des luttes très serrées, et la possibilité de rivaliser avec des champions étrangers est un attrait de plus. Par contre, le sport ainsi compris est cher, il demande des bateaux toujours au meilleur de leur forme, il nécessite des frais d’entretien constants, fréquemment renouvelés. C’est là le seul grand défaut qu’on peut lui reprocher, mais on peut y remédier par des séries spéciales où notre principe continuerait à être pratiqué. On aurait ainsi le sport élevé, celui du pur sang, avec ses rencontres internationales et ses trophées sensationnels, tandis qu’a côté se développeraient tranquillement les courses nationales réservées à de plus modestes concurrents.

 

Notes

[ Back ] Note 1: Nous avons fait, pour cette partie, de très larges emprunts à une magistrale étude de M. Guiffrey, membre du Conseil du Y. C, F. parue en 1909 dans le Bulletin Officiel du Yacht Club de France.

 

 



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